Entretien avec…
Hugo Paul, créateur du projet « Into the Tribes », auprès de communautés apprenantes d’Europe.
Comment est né l’aventure « Into the Tribes » ?
J’aime vivre des aventures collectives pour apprendre et transmettre avec les autres. J’ai été diplômé de l’école d’ingénieurs UTC (spécialité gestion de projets), en 2022. Dès la première année d’école, je sentais que ça m’amusait intellectuellement de résoudre des équations, mais que ce n’était pas là où je prenais mon pied. Ce n’était pas là non plus que je me sentais vibrer et apporter quelque chose au monde.
J’ai vraiment ressenti le besoin d’aller servir la société. C’est pourquoi je me suis engagé au sein d’associations sur les thématiques écologiques et sociales, particulièrement dans la transition de l’enseignement supérieur. J’ai autant appris à faire des projets et à coordonner des collectifs, que d’avoir une autre vision du monde et de moi-même.
Après mes études, j’ai eu plein d’opportunités de m’insérer dans la France active directement. Mais j’avais envie d’explorer d’autres pistes. Le but de cette exploration auprès des communautés apprenantes est donc aussi interne.
Quel cheminement avez-vous suivi ?
J’ai mis un an et demi à construire le projet « Into the Tribes », auprès de communautés apprenantes en Europe. En août 2021, je suis parti faire une retraite en forêt, avec mon sac à dos (je fais ça tous les six mois). J’ai fait le bilan de mes dernières années d’engagement en me disant : il me reste un an d’études et après ? Je me suis rendu compte de deux choses. D’abord, que les communautés sont un levier puissant de transformation à la fois personnelle et sociétale. J’ai cheminé toutes ces dernières années grâce aux autres ; et il n’y a qu’ensemble que l’on pourra répondre aux enjeux écologiques et sociaux.
Ensuite, que la transition est un processus itératif : on n’aura pas de solution miracle, du jour au lendemain. Nous allons devoir passer par des étapes, nous tromper et apprendre, chacun personnellement et en groupe. Donc c’est pour moi indispensable d’apprendre à apprendre ensemble.
Comment ?
J’ai eu la chance de pouvoir m’entourer d’une diversité de mentors d’accord avec mon constat, mais dépourvus d’outils concrets pour mettre en place cet apprentissage collectif. J’ai donc créé l’exploration « Into the Tribes », au sein des communautés apprenantes, autour de trois grands axes :
- Explorer, en m’immergeant dans une diversité de communautés apprenantes en Europe, sur le long terme.
- Essaimer, en partageant le résultat de mes études à travers un guide pratique pour répondre aux besoins concrets des acteurs de la transition.
- Cultiver, en partageant autour de cette aventure (livre, articles, conférences).
Une vingtaine de partenaires me soutiennent, ainsi qu’un comité d’exploration de cinq personnes qui m’aide à prendre de la hauteur. Là où je suis heureux – et c’est un soulagement – c’est que je commence à avoir des retours directs. Je sens que ce que je fais peut servir sur le terrain et ça me donne beaucoup d’énergie.
Quel était votre quotidien pendant un mois à l’abbaye Lérins ?
Je voulais rencontrer une communauté monastique pour revenir aux apprentissages ancestraux. En effet, nous faisons tribu, communauté, depuis la nuit des temps. La forme monastique, ancienne, est toujours en vie aujourd’hui. J’ai été surpris par la transparence, l’accueil et la capacité de travail des moines. J’ai dormi dans le cloître, avec eux, j’ai participé à tous les repas et à certains chapitres, qui sont des rassemblements en fin de journée pour informer la communauté et voter. J’ai eu beaucoup de chance.
Je suivais leur rythme : sept offices par jour (4h15 ; 7h30 ; 9h45 ; 12h35 ; 14h30 ; 17h45 ; 20h). Pour être tout à fait transparent, j’ai eu droit à des dérogations pour la première prière à 4h15… J’ai compris l’importance de ces offices qui sont du retour à soi, mais aussi du retour en communauté.
Parfois, en fin de journée, j’avais des moments d’accompagnement spirituel avec frère Marie qui est le prieur de l’abbaye de Lérins. Il m’a beaucoup aidé à prendre de la hauteur. Nous avons eu des échanges très liés à la spiritualité, mais en termes peut-être plus laïcs. Il me donnait aussi des temps de lecture. Ce mélange de prières, de travail qui permet d’incarner la prière, de temps plus informels avec les frères, de discussions et de lecture m’a permis de connaître et de comprendre la communauté.
Quels enseignements en avez-vous tiré ?
Le premier, c’est la force de l’engagement au long terme qui est à la fois un besoin et une nécessité. Quand on s’enracine dans un territoire, une communauté, ça change notre regard sur notre environnement et la relation qu’on a avec les autres. On parle beaucoup d’urgence climatique ou sociale.
Pour moi, savoir s’engager de nouveau sur du long terme est indispensable car la transition ne va pas se faire en six mois, mais sur des années. Cela permet une vision et de nouer des relations à la base de l’écologie intégrale. On ne peut pas parler de transition, d’un tiers-lieu ou mener un projet si on n’est pas d’abord tourné vers sa communauté.
Le deuxième enseignement, c’est de savoir apprendre de l’extérieur tout en se protégeant un minimum de l’intérieur. Quand on est une communauté, on a besoin d’un cœur où l’on se sent protégé, à l’abri de l’ensemble des perturbations que peuvent amener les liens avec l’extérieur. Le cloître des moines leur permet par exemple d’avoir une vie collective saine, en harmonie, sans empêcher l’ouverture à l’extérieur. Ils entretiennent des partenariats bien définis et délimités.
Tout l’enjeu est de créer un espace équilibré. Et, pour les communautés apprenantes, c’est un équilibre qui bouge dans le temps. C’est une recherche permanente d’harmonie et d’équilibre.
Les chapitres, à Lérins, incarnent bien cela…
Oui. J’avais une image des moines comme étant des personnes rigides, très ancrées dans leurs traditions et fermées aux évolutions. Bien sûr, ils sont attachés à leurs traditions, mais ils veulent aussi vivre dans leur temps et faire avancer la vie monastique au 21e siècle. Ça m’a beaucoup marqué. Ils sont ouverts à l’erreur, en se disant si on n’avance pas, on meurt. Donc on prend des décisions et on les teste pendant six mois ou un an. Cette vision au long terme permet vraiment de sentir les apprentissages et de faire avancer les relations avec l’extérieur. Ils se laissent le temps de voir ce qui marche ou pas.
Et donc, le troisième apprentissage, très lié, c’est cette relation au temps qui permet le discernement. Dans cette notion, il y a aussi la difficulté de percevoir le désir à court terme et le bien sur le long terme. Avoir ce discernement-là dans nos collectifs, nos tiers-lieux, nos organisations, nos entreprises, est un réel enjeu.
Quelle est la prochaine étape ?
Je vais vivre dix jours de retraite Vipassana, un type de méditation provenant du bouddhisme, dans l’Yonne. Ce sera complètement en silence, je ne pourrai ni lire, ni écrire, ni communiquer avec cette communauté apprenante. L’un de mes objectifs est d’apprendre d’autres religions. Peut-être y aura-t-il des liens à faire. En tout, je ferai une dizaine d’immersions dans l’année. Le premier chapitre de mon expérience (Retour aux sources) se clôturera par une immersion en Laponie (Norvège, Suède, Finlande) aux côtés du peuple des Samis, dernier peuple autochtone d’Europe.
Le deuxième (Au-delà des frontières) sera consacré aux innovations pédagogiques et sociétales qui réinventent le faire ensemble. Je vais aller voir des entreprises apprenantes pour comprendre comment faire émerger des idées par la population, les communautés, et les remonter à l’échelle internationale. J’explorerai aussi des initiatives plus sociales, notamment avec une immersion au sein d’un camp de réfugiés, et des initiatives en lien avec la grande pauvreté. Ce sont de bons exemples qui montrent comment faire communauté dans des lieux et avec des histoires parfois difficiles. Enfin, le dernier chapitre (Apprendre pour demain) sera consacré à des visites d’écoles :
- Une dans la forêt, en Espagne ;
- Une autre qui lie spiritualité et écologie au Schumacher College, en Angleterre ;
- Et, enfin, une école de l’engagement en France, qui accompagne des jeunes à trouver leur sens dans la vie en le liant à une société écologique et sociale.
Cela va me permettre de comprendre comment s’apprend l’information à la transition écologique et sociale, concrètement.