Sylvie Barth, théologienne et permanente à Fondacio, vient de publier Le développement durable du couple, Une présence d’Esprit, aux Éditions du Cerf, en janvier 2022. Avec cet ouvrage, Sylvie Barth propose une pastorale du couple et ouvre des pistes théoriques et pratiques pour mieux déployer nos vies amoureuses.
L’interview
« Vivre une vie de couple choisie, heureuse et durable est un désir partagé par un très grand nombre de nos contemporains. Les nombreuses séparations et divorces font douter les plus jeunes qu’un tel projet soit possible. Mais bien des couples font aussi preuve de créativité. Face à cette réalité sociale à la fois ancienne (dans son existence) et nouvelle (dans ses formes culturelles), la tradition chrétienne est interpellée. »
Extrait de la préface d’Alain Thomasset.
Sylvie Barth, votre livre reprend et déploie votre thèse, en développant la notion de « couple électif » et de projet « co-électif ». Que signifient ces termes ?
La nouveauté depuis quarante ans c’est que non seulement on se choisit par amour – ce qui est le cas depuis le début du XXe siècle – mais que c’est cette base que la vie de couple va continuer. Pour le dire autrement, l’amour est devenu le seul ciment du couple. Eligere en latin veut dire choisir, à la fois le conjoint et le projet.
Comme le mot conjugal ne renvoie pas au couple, mais au mariage, je parle d’un projet co-électif, mot que j’ai inventé. Dans co il y a cum, ensemble : le défi c’est d’être ensemble et de créer ensemble. Quelle que soit la forme qu’on donne à notre union, y compris quand on vit le sacrement du mariage, c’est une manière d’envisager la relation ensemble, de façon beaucoup plus amoureuse, « amoureusement investie pour toujours », pourrait-on dire.
« Le désir amoureux que j’ai pour l’autre le suscite dans son identité ; c’est un désir d’accomplissement pour cette personne. »
C’est un peu comme dans la Bible. Quand on essaie de faire sentir l’amour de Dieu pour son peuple, on le présente comme un Dieu « amoureux » : c’est qu’il y a du désir, de l’élan. Ce n’est pas juste « je te veux du bien », comme je voudrais du bien à un bébé, mais « je te désire » et j’aimerais que toi aussi tu désires être en relation avec moi, et que ça dure entre nous. C’est ce qui va faire que l’amour reste adulte.
Le désir amoureux que j’ai pour l’autre le suscite dans son identité, pas seulement sexuée mais aussi personnelle ; c’est un désir d’accomplissement pour cette personne. Cela est très présent dans la métaphore biblique, où Dieu nous aime, jusqu’à languir de nous, comme des adultes, pas comme des nourrissons.
L’origine de cet ouvrage prend racine dans votre enfance. Pouvez-vous nous raconter ce mûrissement ?
C’est un projet que je mûris en effet depuis longtemps. Dans les derniers chapitres, je raconte que dès l’enfance, vers 8 ans, je me suis dit que si je voulais vraiment réussir ma vie, il fallait que je trouve un partenaire ayant envie de partager un projet en commun passionnant. J’avais ce rêve d’un véritable amour à vivre à deux et à construire en partenariat.
Le but de la thèse que j’ai développée ensuite est d’annoncer aux jeunes que le mariage, en tout cas le couple durable vraiment amoureux, n’est pas un piège. C’est une chance à saisir, et il existe des outils pour le réussir.
Quel était votre objectif avec ce deuxième livre, toujours sur la notion de couple ?
Mon but est de communiquer un message positif et libérateur, dans un style moins universitaire. Cela va dans le même sens que le pape François, dans son exhortation apostolique sur l’amour dans la famille, Amoris Laetitia. La relation à Dieu est profondément libre et naît d’un désir profondément libérant. L’histoire du couple aussi est de cet ordre-là.
La cohérence de l’ouvrage est de montrer pourquoi c’est chrétien et catholique d’imaginer un mariage qui va durer sur la base d’une sécurité, d’un choix d’amour, d’un projet partagé, avec un discernement commun et l’appui que donne le fait de cultiver son couple de façon concrète.
On peut écouter ensemble comment l’Esprit nous guide, y compris dans les crises qui montrent que la relation est prête à de nouveaux déplacements. On peut mettre en place des processus pour apprendre à décider ensemble, à s’écouter, à inventer à deux la vie qui va avec un amour véritable.
« S’attacher à sa femme comme on s’attache à un Dieu d’amour. C’est s’attacher l’un à l’autre de façon libre, donc de façon adulte, bienfaisante. »
C’est un peu comme McGyver, ce héros qui ne passe jamais par les portes fermées, mais qui ouvre des voies en passant par les grilles d’aération ou en cassant des parois avec les moyens du bord ! Il me semble que c’est ce que transmet finalement la tradition chrétienne face au mariage dans la durée.
C’est ce que porte le Christ quand Il dit : mais au fond, c’est quoi le mariage ? rappelant la parole biblique : « l’homme quittera son père et sa mère et s’attachera à sa femme ». S’attacher à sa femme comme on s’attache à un Dieu d’amour. C’est s’attacher l’un à l’autre de façon libre, donc de façon adulte, bienfaisante, même si c’est aussi décapant car on ne peut pas faire semblant !
Le mariage souffre aujourd’hui d’un manque d’attractivité. Quelle en est la raison selon vous ?
La crise du mariage est triple, selon moi. Dans l’histoire occidentale, avant le XVIe siècle, il existait divers types d’union qui, toutes, faisaient office de mariage. Elles étaient stables, fécondes, et si elles ne transmettaient pas toujours le nom du père, elles procuraient une structure répondant aux besoins sociaux.
L’Église catholique, après un long cheminement entamé au Moyen Âge, reconnaît solennellement le mariage, au XVIe siècle, comme un sacrement qui sanctifie au même titre que les autres. Cela fait suite à la contestation protestante sur ce sujet. Mais au moment où elle l’affirme, d’autres modèles se sont déjà mis en place : luthérien, calviniste, anglican.
De plus, elle a voulu imposer le mariage catholique ainsi défini à tous. Cela a provoqué une crise. Les non catholiques, les États se sont sentis un peu prisonniers. D’où l’émergence du mariage civil, auquel s’est rapidement appliqué le code Napoléon. Son allure patriarcale et intéressée lui a fait perdre le sens spirituel.
« Je veux montrer combien cette façon de faire couple et famille est une opportunité pour la société, pour la terre… »
Dans l’inconscient collectif, je pense qu’il reste ces traces d’un mariage qui s’est voulu vraiment chrétien, mais qui s’est trouvé pris dans des conflits religieux et politiques. Le mariage a été perçu davantage comme une contrainte, une coercition, et peut-être une forme d’emprise. Alors qu’au fond, vécu dans un amour réellement partagé, un amour durable, c’est une chance !
Je veux montrer combien cette façon de faire couple et famille est une opportunité pour la société, pour la terre, car c’est une école des relations qui peut apaiser les rapports entre les gens, calmer le besoin de consommer à outrance.
Comme McGyver, avez-vous une boîte à outils pour réussir son couple ?
Je propose quelques pistes bien concrètes à la fin du livre. Elles reprennent des pratiques des sessions de Fondacio et ouvrent encore d’autres voies. J’explique quel serait mon rêve pour toucher les jeunes générations et les couples avec enthousiasme, de façon bien moins accusatrice qu’autrefois. Ce, dans le même état d’esprit que le pape François : encourageant et stimulant. Les exigences sont là, car on n’a rien sans rien… Mais elles sont dites de façon aimante, avec de l’espoir, et un espoir fondé ; et de l’espérance, car on n’est pas seul dans la barque !
Pour travailler son couple, il faut de la méthode. Il est bon de s’appuyer sur des processus et de les suivre. Cela demande une certaine discipline. Fondacio mène tout un travail en session dans ce sens. On fait un état des lieux de ce qui nous anime : ce qui était dans la promesse de bonheur ensemble et où on en est. Ensuite on développe des moyens de communication non violente pour cultiver l’alliance entre nous. On regarde où on en est vis-à-vis de ce qu’on se reproche l’un à l’autre, et on fait tout un travail de pardon ; on se laisse déplacer par la fraternité, la foi ambiante.
« Nous écoutons-nous vraiment dans nos besoins fondamentaux ? Comment devient-on moins « réactifs », plus proactifs ? »
C’est une démarche psychologique et spirituelle, profonde, qui utilise des outils et des apports des sciences humaines et reste ouvert au cadeau de la relation à un Dieu qui a les noms d’Amour, Vie, Liberté.
Mon mari, Maurice, et moi-même utilisons aussi des outils comme ceux du co-développement, qu’on a adaptés au couple. On accepte de relire ensemble, d’échanger, de voir comment on est, de faire le point, on s’interroge. Nous écoutons-nous vraiment dans nos besoins fondamentaux, dans ce qui nous met en mouvement ? Comment peut-on avancer pour piloter le projet qu’on a reçu en discernant ensemble, à partir de textes bibliques, en tenant compte des lois de la vie (confère l’Evangélisation des profondeurs) ? Comment devient-on moins « réactifs », plus proactifs ?
Un dernier conseil ?
Il est bon d’être attentif à ne pas condamner. De se redire qu’une relation durable, choisie, peut être très constructive pour continuer à grandir en tant qu’adulte. C’est normal qu’on tâtonne, qu’on soit imparfait : arrêtons de moraliser, d’accuser sans examen plus attentif. Un être humain n’est pas un dieu ! Il y a moyen, un chemin est possible, même si c’est parfois, pour « bien » se séparer…
Être un couple qui travaille sa relation, ses conflits, qui trouve une pacification profonde, une connivence malgré et avec les difficultés, va donner une autre relation à la vie, à la société, à l’avenir. Ce sera bienfaisant pour l’éducation des enfants. Cela leur donnera des repères et leur montrera qu’il est possible de se frayer un chemin, qui peut ne pas être toujours confortable, mais ce n’est pas grave !
On ne promet pas une vie « cool », sans soucis, mais on ouvre un possible chemin, un chemin de vérité. J’espère que ce livre fera un travail d’ouverture, pour annoncer une Bonne Nouvelle qui ne se paie pas de mots !
Découvrez le livre de Sylvie Barth
Le développement durable du couple, Une présence d’Esprit
Éditions du Cerf. 348 pages. 25 €.
Présentation de l’auteur
Sylvie Barth est docteur en théologie, chargée de cours à l’université de Strasbourg et au Centre Jean XXIII, à Luxembourg. Elle coproduit le magazine « Être et Avoir » sur RCF Alsace. Permanente à Fondacio, elle coordonne les initiatives pour les couples et familles dans le Nord et l’Est de la France. Le développement durable du couple, Une présence d’Esprit (Les éditions du Cerf, 348 pages, 25 €) est son deuxième livre. Sylvie Barth est également l’autrice de La voie de l’amour électif, Une interpellation spirituelle pour notre temps (Lit Verlag, 384 pages, 49,90 €), qui est le fruit de sa thèse.