Interview
Alexandra Puppinck Bortoli a écrit Le mal à l’âme. L’acédie, de la mélancolie à la joie (Éditions du Cerf, 216 pages, 18 €).
Comment définir l’acédie ?
L’acédie est une passion de l’âme qui fait partie des péchés capitaux originaux. C’est une perte de la joie et de la paix de l’âme. On dit de l’acédie que c’est un démon à deux têtes, car elle peut entraîner de l’hyperactivité ou bien de la lassitude (« à quoi bon ? »). Ce sont les deux symptômes justement découverts par les Pères du désert, ces ermites des premiers temps du christianisme, dont faisait partie Évagre le Pontique.
Évagre le Pontique (345-399) est de ces chrétiens qui, entre le IIIe et le VIIe siècle, ont choisi une vie de prière et d’ascèse dans les déserts d’Égypte, de Mésopotamie ou de Syrie. En s’enfonçant dans la solitude et vivant dans des conditions difficiles, ces sages se sont mis à l’épreuve d’eux-mêmes.
Le mal à l’âme. L’acédie, de la mélancolie à la joie.
C’est donc à ce moment-là que le mot acédie est né ?
A partir de son expérience dans le désert, Évagre le Pontique a été le premier à élaborer une doctrine sur l’acédie. Il a consigné dans son Traité pratique « huit mauvaises pensées » qui, tels huit démons, prennent possession de l’âme : la gourmandise, la luxure, l’avarice, la colère, la tristesse, l’acédie, la vaine gloire, l’orgueil.
Ces huit mauvaises pensées brouillent la vie spirituelle et éloignent de Dieu. Elles sont à l’origine des sept péchés capitaux qui attisent nos faiblesses charnelles ou s’insinuent dans notre esprit. L’acédie a cette particularité de toucher à la fois le corps et l’esprit.
Elle disparaît ensuite de la liste des sept péchés capitaux, remplacée par la paresse qu’il faut comprendre comme paresse spirituelle entraînant une paresse générale. Les personnes perdent le sens et le goût de leur vocation. Tout est remis en question.
Quels sont les symptômes de l’acédie ?
Il y en a plusieurs. Cela peut être l’hyperactivité : la personne tourne comme un hamster dans sa roue. Elle se disperse pour compenser son manque de vie intérieure. Car si elle s’arrête, elle sent qu’elle va tomber. Cela peut être la perte de sens, la sensation de vivre à l’extérieur de soi, mais aussi le perfectionnisme. Cela rejoint une autre maladie très actuelle : le burn-out.
L’acédie touche directement à la vie spirituelle, à la place que je donne à mon âme. L’âme est le souffle de Dieu pour les croyants. Quand on ne laisse pas entrer ce souffle, on se retrouve en apnée. L’âme s’assèche, s’aigrit, se replie sur elle. L’enjeu est donc de savoir où on en est dans notre vie spirituelle et quelle place on lui accorde.
Pourquoi être croyant ne protège-t-il pas de l’acédie ?
Parce que l’acédie relève de l’humain. Cela fait partie des faiblesses de l’homme, de ses penchants et dérives intérieurs. Cela dépend donc de chaque personne. Quelqu’un qui évolue dans un environnement spirituel aura peut-être plus de facilités à identifier les ressources qui l’aideront à combattre l’acédie. D’ailleurs, beaucoup de non-croyants touchés par une perte de sens se tournent vers des spiritualités orientales.
L’acédie est « une tristesse accablante qui produit dans l’esprit de l’homme une dépression telle qu’il n’a plus envie de faire quoi que ce soit ».
Saint Thomas-d’Aquin, Somme de théologie.
Peut-on combattre ce mal à l’âme ?
Oui, il est possible d’en sortir ! Le fruit de la victoire sur l’acédie est la joie. Les moines propose différents remèdes. Dans mon livre, je propose six autres voies pour tenir à distance le démon de l’acédie. L’objectif de mon livre est de nous re-familiariser avec lui. En guérir prend donc du temps et passe par le fait d’être capable de mettre des mots sur ce mal-être invisible.
Guérir de l’acédie est un chemin qui permet de reprendre confiance dans la vie. Pour nous défaire de l’acédie, nous sommes amenés à porter un autre regard sur nos existences, à donner du sens, s’émerveiller et cultiver la gratitude. C’est tout cela qu’il faut réinstaurer.
En nous détournant de l’amitié de Dieu, l’acédie nous prive de la joie et des grâces que Dieu nous offre par l’Esprit Saint. Elle nous laisse sombrer dans la tristesse. Aussi, sortir de l’acédie, c’est s’échapper de ce cercle vicieux et retrouver enfin la joie en s’inscrivant à nouveau dans le cercle vertueux de la relation à Dieu et aux autres.
Le mal à l’âme, L’acédie, de la mélancolie à la joie.
Pourquoi est-ce pertinent de sensibiliser à l’acédie ?
Notre monde contemporain s’est éloigné de la dimension spirituelle. En témoigne le regard porté sur l’église aujourd’hui… Nos générations (la mienne, les précédentes) ont rejeté cette dimension, nous privant de ses apports. On ne s’y intéresse plus.
Je suis convaincue que la dimension spirituelle fait partie de l’être humain. Nous souffrons d’en être privés. Alors même que nous vivons aujourd’hui dans une société hyper protégée, privilégiée, nous sommes déprimés, nous éprouvons une grande souffrance morale et psychique. Peut-être a-t-on perdu quelque chose d’essentiel en négligeant nos âmes.
Ne plus entendre le mot n’a donc pas supprimé le mal…
Supprimer le mot ne supprime pas le mal ; cela le fait vivre à notre insu. L’acédie a toujours existé. Le mot en lui-même a évolué : il s’est laïcisé. A l’époque du romantisme, au XIXe siècle, on l’a assimilé à la mélancolie et ensuite à la déprime et à la dépression. Le risque est d’en oublier la racine spirituelle.
Découvrez le livre d‘Alexandra Puppinck Bortoli
Le mal à l’âme. L’acédie, de la mélancolie à la joie.
Les éditions du Cerf. 216 pages. 18 €.
« Un autre regard », jeudi 5 mai à Nantes
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Présentation de l’auteure
Alexandra Puppinck Bortoli est auteure, diplômée en philosophie et certifiée en coaching HEC. Elle a collaboré à l’ouvrage collectif L’entreprise un lieu pour l’homme, les fondamentaux en question » (édité par Chronique Sociale, mai 2015). En 2021, elle a sorti Le coach et son cousin le philosophe, « la boîte à outils » philo du coach, publié chez Dunod. La même année, Alexandra Puppinck Bortoli a écrit Le mal à l’âme. L’acédie, de la mélancolie à la joie, publié aux éditions du Cerf (216 pages, 18 €).