Marie Levier, permanente à Fondacio et coresponsable du Tiers lieu de l’Ermitage, à Versailles, publie Les groupes de partage, S’exprimer – Exister – Ressusciter, aux Éditions des Béatitudes. Dans ce livre, elle montre en quoi les groupes de partage peuvent être une école de la fraternité, permettant de découvrir nos vérités, rencontrer l’autre et faire une expérience de Dieu.
L’interview
Comment est née l’envie d’écrire ce livre ?
L’envie est née à la fin de ma licence de théologie. Il me fallait écrire un mémoire. Je voulais y faire figurer les notions de communauté, de vulnérabilité et de salut. Car c’est ce que j’ai découvert à Fondacio : quand on se laisse vivre avec nos vulnérabilités, devant d’autres, à travers le partage et la prière des frères, Dieu vient nous sauver. Il vient nous dresser intérieurement.
Paradoxalement, c’est donc en s’exposant, dans ce qui nous rend joyeux comme ce qui nous affecte, qu’Il vient nous relever.
Je me suis donc demandée : comment faire pour articuler ces trois notions et où est-ce que je les vis le plus ? C’est comme ça que j’en suis arrivée aux groupes de partage. A la fois ceux que l’on vit dans les sessions (une fois par jour) et ceux que l’on propose toute l’année (une fois par mois). Cela fait partie du processus d’assimilation, d’ancrage, d’altérité.
Y a-t-il eu un autre élément déclencheur ?
Oui. On trouve dans Fratelli Tutti, l’encyclique du pape François, le mot très fort de rencontre. La manière dont on mène les groupes de partage et dont on les vit permet une rencontre en profondeur, quels que soient les classes sociales, les parcours et les tendances politiques.
Le chemin a été de transformer un écrit universitaire en livre. Ça a été de parler à un grand public à qui il n’y a rien à prouver, juste à donner le goût de vivre cette aventure. J’ai eu énormément de joie à écrire ce livre. Ça a été un pas d’audace.
Pouvez-vous nous le présenter ? Que peut-on y trouver ?
C’est une cueillette. J’ai glané les éclairages de différents penseurs sur les groupes de partage, notamment Martin Buber (philosophe existentialiste d’origine juive) et Paul Ricœur (philosophe de confession protestante). J’y ai inséré des témoignages et des propositions concrètes pour animer un groupe de partage.
« En février 1999, j’ai participé à mon premier week-end avec le mouvement Fondacio. J’avais tout juste 22 ans. J’ai expérimenté une qualité d’introspection et de partage, que je n’avais jamais encore rencontrée sur mon chemin. Dans les temps de partage, le cadre était posé pour nous inviter à une authenticité, une bienveillance, une écoute mutuelle. »
Préambule, Les groupes de partage, Marie Levier.
Pourquoi le cadre d’un groupe de partage est-il important ?
On a toujours reflété à Fondacio un savoir-faire pédagogique qui est fait de plein de choses, aussi bien de musique, de témoignages, que d’une certaine manière de poser les questions. C’est cela qui rend fécond le groupe de partage. Le fait qu’on nous pose plutôt des questions comme « qu’est-ce que ça me fait sentir ? » ou « à quoi ça fait écho dans ma vie ? », et pas « qu’est-ce que je pense ? », permet de toucher le cœur profondément.
Il y a aussi des règles simples. Par exemple, régler le temps. Chacun a 2 min ou 5 min pour parler, cela permet de donner à chaque participant un espace où exister. Car c’est une chose d’avoir un temps de solitude, c’en est une autre de pouvoir exposer le fruit de notre temps personnel.
Dans ces groupes, il y a aussi une qualité d’écoute, on n’est pas interrompu. Par le regard, on s’intéresse à l’autre. Quand le cadre est posé, il y a une sécurité qui permet à chacun d’avoir sa place.
C’est ce que j’ai vécu de manière très forte à Fondacio quand je suis arrivée. J’ai pu parler avec authenticité. Ça m’a bouleversée, c’était existentiel : quelque chose de mystérieux se passait en moi.
Qui peut se porter garant de ce cadre ?
Le responsable du groupe de partage. Il est là, parfois, pour oser plonger le premier et s’exposer. Je l’ai vécu avec d’autres qui ne l’ont jamais vécu et, en général, quand on se lance le premier et qu’on met le niveau de profondeur, ça suit.
« Il n’y a rien à réussir, juste prendre le temps d’être vrai avec soi, de le partager et goûter à la vérité de l’autre. »
Les groupes de partage, Marie Levier.
Ce livre est-il aussi une invitation à se mettre en route ?
Oui, le but est de donner envie de se lancer tout en explorant des propositions concrètes d’animation. Et parmi elles, le rituel « une fleur, une valise » pour prendre le temps de s’accueillir. « Une fleur » : je partage quelque chose qui a mis de la couleur dans ma vie, un événement, une attention, un sujet d’émerveillement. « Une valise » : je partage quelque chose de lourd, qui m’atteint, me pèse ou m’inquiète.
On peut le faire au travail ou en paroisse, au démarrage d’une réunion. C’est tout simple, ça prend 15 minutes et ça peut changer beaucoup de choses pour la cohésion d’équipe. Par l’écoute que l’on se porte, sans chercher à résoudre les problèmes, on peut se soutenir et se guérir les uns, les autres.
Je pense que les personnes ont besoin d’être écoutées dans ce monde qui va à toute vitesse, c’est une respiration. Le fait de déposer la valise parfois soulage, même si la valise ne part pas. Il y a des énergies de vie qui peuvent être réactivées simplement par la qualité d’attention des autres. Nous pouvons être, les uns pour les autres, ce regard de bénédiction que Dieu porte sur nous : « c’est bon que tu existes ».
L’un des témoignages parle « d’hygiène relationnelle ». Pourquoi est-ce pertinent ?
C’est une hygiène spirituelle et corporelle. Pour moi, il y a une hygiène relationnelle dans le fait de mettre des mots sur ce qui nous anime, dans un temps limité, et de recevoir la parole de l’autre avec son élan, sans chercher à résoudre ses valises s’il en a. Parfois on s’ouvre juste au monde de l’autre qui est différent.
Cela nous apprend à recevoir le monde avec une multitude d‘autres regards. Cela nous apprend à recevoir plein de personnes différentes. Exister c’est aussi ça : nos vies viennent en résonance. Parfois, deux mots d’un autre suffisent pour débloquer une situation en moi, sans qu’il s’en rende compte !
La partie 3 est ainsi nommée : « Silence, partage et prière : une dynamique d’engendrement ». Le chemin de la parole passe d’abord par le silence…
« Le silence est le berceau de Dieu », dit Maurice Zundel, prêtre et théologien catholique suisse. La parole est plus puissante quand il y a eu un temps de silence avant. Sortir du silence pour partager sa réponse, c’est aussi là que Dieu se donne. Cela m’a parfois surprise : des idées, nées de façon confuse lors des temps de silence, se clarifiaient au moment de prendre la parole et de les exprimer.
Que peuvent nous apporter ces temps de partage, aujourd’hui ?
C’est un enjeu actuel de l’Église. Les personnes n’ont pas seulement besoin d’entendre parler de Dieu mais de se parler de Dieu entre elles, de ce qu’Il change dans leurs vies. Cela rend le baptême vivant, agissant !
C’est aussi un enjeu écologique. Le pape François, dans Laudato Si, souligne combien le partage fraternel et la prière donnent un sentiment de satiété. Si nous prenons le temps de les goûter, peut-être pourrons-nous arrêter de courir après ce qui nous manque ?
Pour moi, les groupes de partage sont un temps de connexion à soi et aux autres, ainsi qu’à Dieu pour les croyants. Le silence, la parole et l’écoute nourrissent la force d’âme et l’action des acteurs de changement.
« Les groupes de partage, qu’ils soient occasionnels ou réguliers, sont une opportunité, un soutien, sur ce chemin d’intégration de la vie de Dieu en nous, sur ce chemin de fraternité à la fois heureux, transformant et parfois décapant. »
Les groupes de partage, Marie Levier.
Découvrez le livre de Marie Levier
Les groupes de partage, S’exprimer – Exister – Ressusciter.
Éditions des Béatitudes. 132 pages. 9,90 €.
Présentation de l’auteur
Marie Levier est permanente à Fondacio et membre du quatuor responsable de Fondacio France. Éclairée par ses lectures de Laudati Si et de Fratelli Tutti, elle livre son expérience des groupes de partage dans son premier livre et s’adresse à tous ceux qui ont soif d’une fraternité existentielle et inspirante.