Merci Pape François, et à-Dieu.

Une dette de reconnaissance, de la part de Fondacio

Pendant douze ans et trente-trois jours, une lumière très singulière a éclairé le chemin de Fondacio, c’est-à-dire aussi bien celui de nos amis et engagés à travers le monde à titre individuel (et je crois que je ne parle pas ici seulement au nom des catholiques), que celui de notre mouvement dans son ensemble. Voir cette lumière s’éteindre provoque tout d’abord en nous une immense tristesse, le sentiment de nous retrouver comme orphelins d’une présence qui donnait sens et redonnait courage. Mais immédiatement après cette peine, ce qui se lève, c’est la gratitude.

François, nous l’avions vu décliner au fil des mois et nous savions qu’il fallait nous préparer à cet « à-Dieu » inévitable. Mais les paroles, les prises de position, les exhortations, le « style » (il faut bien employer ici ce mot) sont là, faits pour rester. C’est d’avoir reçu ce cadeau qui gonfle notre cœur de reconnaissance. Reconnaissance envers un héritier, un homme enraciné qui portait haut les figures d’humanité qui avaient marqué son histoire : sa grand-mère, saint Ignace, saint François, le peuple d’Amérique du Sud et tant d’autres. Reconnaissance envers un engagé, quelqu’un qui tentait de dire ce qu’il pensait et d’aligner ses actes à ses paroles et à ses convictions. Reconnaissance envers un inspirateur, dont le style fleuri et souvent poétique cachait une profondeur de pensée qui ne cesse de révéler ses trésors. Reconnaissance, surtout, envers un apôtre, un envoyé dont l’existence était vouée à refléter la vie de quelqu’un d’autre.

Car c’est bien, d’une manière unique, la lumière du Christ qui a brillé jusqu’à nous pendant douze ans et trente-trois jours. Dire cela, ce n’est ni déprécier les papes précédents, ni hypothéquer le ministère des prochains. C’est simplement prendre la mesure de l’intensité évangélique de ce qui nous a été transmis depuis le 13 mars 2013, depuis cette soirée où un homme souriant se présentait humblement à tous comme cet évêque de Rome qu’on était allé chercher au bout du monde, comme un pécheur qui demandait qu’on prie pour lui. Quelques jours plus tôt, juste avant le Conclave, celui qui n’était encore que le cardinal Bergoglio avait fait à ses frères cardinaux la brève communication, rendue publique par la suite, dans laquelle il réclamait une Église « en sortie ». Dans ce même texte, il critiquait une Église « auto-référentielle » qui « croit tenir sa propre lumière » et citait le père Congar comparant l’Église à la lune, qui ne brille que de refléter la lumière d’une source cachée. François se révèle déjà entièrement dans ces quelques formules : la relation est tout parce que Dieu est relation. François lui-même ne cherchait rien d’autre : refléter la lumière d’un autre, c’est-à-dire témoigner d’une relation, vivre et s’exprimer à partir d’une relation. Et, finalement, c’est cette lumière qu’il a portée vers nous : celle de la force de la relation, force qui exprime Dieu, qui est relation.

En ce sens, tenter d’évaluer si François était « réformateur » ou « conservateur » et où, éventuellement, il l’était, s’avère assez vain. François restera dans l’histoire comme le pape qui a tenté de renverser toute la compréhension que l’Église a d’elle-même et l’ensemble de ses fonctionnements (ad intra comme ad extra) du côté de la relation, sur le « pied d’appel » de la relation. C’est vouloir, sans rien changer, changer tout, ou plus précisément chercher à actualiser radicalement l’intuition fondamentale de Vatican II qui a renvoyé l’Église catholique à sa source évangélique.

Tirez tous les fils de la pensée de François, et vous verrez qu’ils ramènent chacun, inexorablement, au primat de la relation, comme en témoignent les trois sentences qui « fondent » l’écologie intégrale : « Tout est lié, tout est donné, tout est fragile ». Difficile de faire plus simple, et en même temps difficile de trouver des formules plus à même de refonder entièrement des manières de vivre individuelles et collectives :

  • « Tout est lié » : sentence de sagesse, qui provient tout simplement d’une écoute attentive de ce que dit la science. Des particules les plus élémentaires aux plus complexes réalisations de l’humain, l’univers est tissu de relations, interdépendance assumée d’éléments qui tirent leur existence les uns des autres.
  • « Tout est donné » : sentence spirituelle, qui cette fois provient d’une écoute attentive de ce que dit la Bible et de ce que confirme l’expérience spirituelle chrétienne. Derrière ce tissage se cache un donateur, discret et présent à la fois. Coopérer à l’échange généralisé des dons, c’est relayer son action.
  • « Tout est fragile » : sentence éthique qui renvoie l’humain à sa responsabilité de « prendre soin », en assumant sa propre fragilité.

On tient là un exemple clé du génie propre de François : cette manière d’exprimer, à partir d’un « centre de gravité » parfaitement identifiable (le primat de la relation, qui renvoie secrètement au Dieu Trinité), des vérités accessibles à tous et permettant le dialogue avec chacun en vue d’une co-construction de l’avenir du monde.

C’est ce point de départ permanent du primat de la relation qui, pour François, peut mettre l’existence de chacun en marche dans la joie. La joie, autre marqueur évangélique fort, autre mot clé de son pontificat, n’est rien d’autre ici finalement que la forme très particulière de plénitude qui advient à celles et ceux qui, assumant leur fragilité, leurs manques, se nourrissent de la force renouvelée des rencontres, des relations, dans la visée du Bien Commun. C’est pourquoi, chez François, la joie est partout. Joie de l’Évangile (sa première encyclique), c’est-à-dire joie d’aimer gratuitement en témoignant sans prosélytisme de celui qui nous aime gratuitement ; joie de l’amour, c’est-à-dire encouragement à aimer en assumant les immenses fragilités qui sont les nôtres ; joie de la fraternité, tout particulièrement dans la rencontre avec ceux qui manquent, les « pauvres » ; joie d’être jeune et de miser sur la jeunesse, etc.

Même passion pour la relation dans ses nombreuses et marquantes initiatives de dialogue avec les croyants de tous bords, les incroyants, les responsables politiques et, bien sûr, dans son engagement résolu (et dérangeant pour beaucoup) en faveur de l’œcuménisme. Pour Fondacio tout particulièrement, ces initiatives ont eu un retentissement fort, en particulier sa décision d’unir toutes les instances représentatives du Renouveau Charismatique Catholique dans un organisme unique, CHARIS, auquel il a confié trois missions : la propagation du « baptême dans l’Esprit », la promotion de l’œcuménisme et le soin des plus pauvres. Une instance où nous sommes présents et très engagés depuis la première heure.

Impossible ici de passer sous silence l’autre aspect de ce primat de la relation qui a marqué Fondacio en profondeur (et pas seulement Fondacio, bien sûr) : François est le pape qui a résolument tourné notre regard vers la « Maison commune », vers la Terre qui souffre et porte un peuple souffrant de fragiles, victimes d’un techno-scientifisme capitaliste qui pille et détruit, d’une « culture du déchet » qui menace notre avenir à très court terme. L’écologie intégrale, terrain capital de mise en pratique du primat de la relation, n’est pas une invention catholique, mais l’impulsion donnée par François (qui, au congrès 2018, nous a fait l’adopter comme une priorité pour Fondacio) est ici d’une force dont il est encore difficile de mesurer la portée exacte. En tout cas, elle est force qui nous porte, comme elle porte beaucoup d’autres dont nous nous sentons proches.

Pour terminer, il est capital de pointer un domaine où ce primat de la relation est devenu proposition pastorale, style de gouvernance propre à remodeler en profondeur le visage de nos Églises si nous lui faisons réellement place. Il est possible (et souhaitable) qu’au-delà de tout ce qui a été évoqué plus haut, l’héritage le plus impactant, le plus révolutionnaire, le plus fructueux du pape François soit son engagement en faveur d’une Église plus synodale. Car ce qui est en marche depuis 2021 et qui ne s’achèvera qu’en 2028, si le prochain pape honore cet agenda, c’est une gigantesque lame de fond destinée à apprendre au peuple Catholique dans son ensemble une pratique partagée du pouvoir fondée sur l’écoute mutuelle. Là est l’arme secrète contre l’auto-centration, l’autoritarisme, le cléricalisme, la culture du secret et des abus. Elle fait autant de bruit qu’une forêt qui pousse, c’est-à-dire beaucoup moins que tous les arbres qui tombent. Elle s’apprend au quotidien dans la pratique de la « conversation spirituelle » et la patiente recherche du consensus, dans le respect du rôle de chacun. Là encore, Fondacio identifie un trésor, dont elle tente de vivre et de témoigner, parmi d’autres.

Alors, bien sûr, l’homme avait des défauts, et d’ailleurs il ne s’en cachait pas. Mais il n’a pas eu peur de vivre, en état de risque, en s’assumant comme Argentin, comme jésuite, comme prêtre, comme pasteur, comme auteur, comme agent du bien commun, non pas pour lui mais pour les autres et pour un Autre. Ce « oui » est un défi à vivre, à être soi, avec et pour les autres, fondé sur la gratuité de l’Amour, à dégager sa vocation propre pour le monde. Ce défi, lancé à chacune et à chacun d’entre nous, demeure, même si le provocateur est passé, quant à lui, dans la Résurrection.

Le phare vient de s’éteindre mais il a semé des petites lumières très concrètes qui conduisent nos communautés et notre Église jusqu’en 2028 et au-delà. Surtout, il nous renvoie au Christ, au soleil qui ne s’éteint pas et qui nous propose sans cesse sa relation dans la joie de l’Esprit Saint, vers le Père, donateur discret. Continue ta marche avec et à-Dieu, François, là où tu es à présent. Nous avons eu de la chance de t’avoir !

Jean-Marc Liautaud (membre du mouvement Fondacio)

 

 

 

 

 

Crédit Photo de couverture: Journal La République du Centre